Après les équipes synodales, la deuxième phase du synode a vu 300 personnes se réunir sur trois week-end pour élaborer ensemble quelques dizaines de ‘décisions’. En partant d’un document de 60 pages très dense, rempli de propositions plus ou moins abouties et souvent contradictoires, ces délégués ont réussi à s’accorder sur 35 ‘actes synodaux’ dans le document final. Et pourtant la plupart ne se connaissaient pas, chacun venait avec ses propres envies, et l’étalement des trois sessions sur près de 8 mois risquait de faire perdre le fil… Pour atteindre efficacement l’objectif, les outils de la facilitation étaient indispensables !
Au départ, il a fallu faire connaissance, constituer une assemblée unie dans sa diversité, mélanger les sensibilités pour être plus qu’une somme d’individualités. Concrètement, c’est d’abord une bonne dose d’aléatoire qui a été injectée dans l’organisation en commissions. Pour bien travailler, treize groupes de 20-25 personnes environ ont été constitués pour le premier jour, chacun se concentrant initialement sur un thème spécifique. Chaque délégué avait émis des souhaits pour quatre thèmes qui l’intéressaient, quelques règles d’équilibrage avaient été définies (homme/femme, tranches d’âge de 15 à 85 ans, origine géographique dans le diocèse…), et c’est un tirage au sort qui a ensuite formé les groupes en évitant l’écueil du « je préfère travailler avec ceux que je connais, ceux qui me ressemblent, ceux que je pourrais influencer… ». A chaque début de session, un atelier a permis de faire un peu plus connaissance, et des petites équipes de 4 ou 5 personnes ont souvent été mises en place et modifiées au fil des journées pour que les rencontres et les échanges soient plus faciles. Après la première journée de travail, des ‘auditeurs’ ont changé de groupe pendant un atelier de relecture pour apporter un regard neuf sur le travail des autres, pour que les propositions en cours d’élaboration soient mieux comprises par tous. Et une partie des commissions (environ un tiers) a été interchangée entre la première et la deuxième session, pour là aussi rechercher un travail plus représentatif.
Une technique de facilitation graphique a aussi rendu visible le travail collectif. Il y avait en effet un écueil important dû aux contraintes pratiques de la première session: les 13 commissions devaient travailler pendant deux jours complets dans des salles différentes, ne se rencontrant que pour les pauses, les repas et les partages des consignes en début et fin de journée.
Dans un lieu bien visible, au centre du bâtiment, un grand tableau de sept mètres de long a été installé, et Fabienne Cottret, facilitatrice graphique, a reçu le témoignage d’une personne de chaque commission plusieurs fois au fil des ateliers. L’échange avec ces témoins lui a permis de percevoir ce qui se vivait à l’unisson, malgré la séparation dans différents lieux, et elle a construit une fresque rendant compte de ce travail collaboratif (pour visualiser tous ses détails, cliquez sur l’image…). Un outil très puissant pour faire ressortir la dynamique collective de cette assemblée !
Pour le travail en commissions, un débat improvisé entre 25 personnes assises en cercle ou en carré (ça peut dépendre de la forme de la table 😉 ) aurait probablement été stérile: prise de parole systématique des personnes sûres d’elles, silence attentiste de la plupart, blocage sur une idée clivante… Pour éviter tout cela, j’avais prévu une dynamique progressive sur plusieurs ateliers avec des étapes simples et des formats garantissant un bon partage de la parole. Les 13 binômes d’animateurs que j’avais formés quelques semaines auparavant ont pu guider leur groupe: des temps individuels pour que même les plus discrets puissent écrire leurs idées et ensuite les partager, des temps en petites équipes pour élaborer des textes précis, des temps en commission pour échanger et définir des priorités partagées, des temps pour proposer de façon anonyme des modifications à étudier… Cette diversité dans l’animation a été une des clés de la richesse des textes élaborées lors des deux premières sessions.
Une autre clé consistait à se forcer à faire des choix. Les commissions partaient d’un texte très riche, et quelques dizaines d’idées avaient été mises en avant au début du travail, parce qu’un moins une personne trouvait tel ou tel point intéressant. Il a donc fallu faire des choix, pour se concentrer en premier sur le plus essentiel. Pour ne pas gaspiller un temps précieux à débattre jusqu’à être d’accord (ce qui, en fait, est quasiment perdu d’avance quand la taille du groupe dépasse le nombre d’idées à conserver !), un vote « 4-2-2-1 » a abouti au choix de quelques problèmes prioritaires dans chaque commission. Et ces problèmes ont été approfondis en petites équipes pour formuler une ou deux solutions, ensuite soumises au vote de l’assemblée entière. Et là aussi, 127 solutions proposées et 53 retenues parce que jugées plus prometteuses… Faire des choix, pour ne garder que le meilleur !
Ceci dit, ces étapes de sélection ont généré pas mal de frustration. Détectant cela à la fin de la deuxième session, une étape a été ajoutée pour que certaines idées puissent être ‘repêchées’ durant la troisième session: 11 solutions ont ainsi été réintégrées. On pourrait se dire « à quoi bon faire un vote pour choisir, si c’est pour ensuite réintégrer des idées !? », mais les deux principes ne sont pas contradictoires: le premier permet d’identifier ce sur quoi la majorité s’accorde, et le deuxième permet de réintégrer juste ce qu’il faut pour que les frustrations soient atténuées, et que le résultat final emporte l’adhésion de quasiment toute l’assemblée. Je dis « quasiment », parce qu’il y a toujours quelques irréductibles qui rejettent le travail collectif, mais sur un groupe de 300 cela me semble inévitable. Et ce sont souvent ceux qui, dans un processus classique, auraient cherché à imposer leurs idées à tous sans se préoccuper de la dimension collective…
Le vote final des 300 délégués (c’est une étape imposée dans un synode) a validé 35 solutions, dont la moitié avec plus de 2/3 des voix. Ce sont les actes synodaux, publiés sur le site du synode et rassemblés dans un livret imprimé à 20.000 exemplaires. Le résultat de l’intelligence collective déployée pendant près de deux années !
(Photo de l’article: AdobeStock)